Excavations of the Future, 2016.
Exposition personnelle
Galerie Laurence Bernard, Genève, Suisse.

L’artiste propose un parcours en deux « chambres » inspirées par l’architecture cérémonielle mésoaméricaine – celle de Teotihuacan en particulier. Plus qu’une réplique de formes extérieures, ce sont les symboles du soleil puis de la lune, une ordonnance des espaces réglée sur l’équilibre cosmique, et la disposition d’objets comme extraits d’une fouille, qui évoquent ces sites. L’alignement de pièces fait en particulier allusion à la découverte d’un long tunnel serpentant sous la Pyramide du Serpent à Plumes , tenu pour une représentation macroscopique et métaphorique de l’inframonde que parcourent les défunts. La dimension religieuse s’efface cependant ici au profit d’une approche quasi clinique, combinant étroitement deux strates temporelles : celle du déploiement d’une civilisation, et celle de sa fouille. La superposition du rite, sous son aspect formel, et de son analyse, revêt l’apparence d’une mise à jour d’éléments disparates tenus pour seules traces d’une entité éteinte. A l’image du constat d’accumulation d’objets que fait une personne au cours de sa vie, les fouilles archéologiques révèlent un ensemble de fragments dépourvus de sens a priori, et nécessitant des outils spécifiques, un mode opératoire codifié pour les interprWéter, en déceler l’usage. Si l’on trouve des sculptures dans les chambres funéraires de Teotihuacan, chargées d’accompagner le mort dans un inframonde conté dans les récits de l’au-delà, il ne reste d’un corps contemporain que des biens hors sol, non préservés avec le défunt, lui-même sujet à des traitements destructifs.

C’est ainsi que l’espace bipartite accueille, outre l’image d’une activité de prélèvement, un ensemble de questions existentielles, évoquées notamment par les têtes osseuses, comme momifiées : celle,en particulier, du devenir organique. Les pratiques artistiques d’Angelika Markul rencontrent pour la première fois dans cette salle, une ébauche de figure humaine.Les prélèvements de sol de la seconde salle, de tonalité bleutée sous les auspices de la lune, relèvent d’un aspect différent de la fouille. La cire blanche préserve la douceur spectrale de cette pièce plus « documentaire », où des cadres à la disposition précise composent un sol découpé en aires égales. Le passage de formes organiques à des couches telluriques exclut cette foisle facteur corporel, et rappelle le rapport récurrent d’Angelika Markul aux faits de nature, mouvements géologiques, catastrophes passées et en puissance, expliquant peut-être l’extinction suggérée dans la première salle. Plutôt qu’un espace figé dans son mutisme de chantier en cours, le site comme l’exposition évoquent des transformations, que la nature elle-même prend en charge, à la faveur du facteur temporel. Si l’artiste s’assigne le droit de manipulation des strates de terre et de temps, elle révèle et confronte les grandes forces à l’oeuvre par la main de l’homme et par la nature. Ce sont ces mutations en cours que l’artiste observe, sous les allures d’un protocole de recherche froid, mutations d’usages, de consistance, de forme, dans un lieu baigné des lueurs d’une vision solaire puis lunaire, puis solaire, trajet en aller-retour le long de mises à jour littérales.

Audrey Teichmann