Le sel de la terre

     A.  Histoire de la fission

I
Elle remua les lèvres et articula : «La Montagne magique », se souvient Françoise, l’épouse de Stan Ulam, au détour du chemin. Pour la première fois face à la Colline.

Grand sanatorium serti de neige. Pur désert de sel vitrifié par les glaces. Les bienheureux arrivaient un à un. Invisible, une main les prélevait.

Puis ils se dépouillaient dans la paix des dortoirs. Unis par la chair à la chair des labs. Et leurs corps déportés, habités de nombres, apaisés, se donnaient à la nuit.

Ainsi dans la douleur allait renaître, un monde de ses cendres, pour d’autres cendres. Ils regardèrent le ciel et le bénirent.

Ils ont encore un vélocar, une voiture à pédale.
          Mais cette chose aussi leur est interdite.

II
Derrières eux, des nations s’effondraient. Chairs, charniers, chars, brasiers nocturnes, Cendres brûlantes. Et l’enfance abolie loin des villes déchues avait fui leur corps.

Désormais hors sol, ils s’emparaient du monde. Boite postale Mille six cent soixante trois, à Santa Fe. Entre nuages et censure, parvenait parfois le bruissement des missives.

Dépassées, insensées, mentionnant, des noms déjà prêts pour l’oubli : Albert, le communiste ; tata Suzanne ; André, survivant ; Michel, parachuté. Et la mère, déportée.

Cachés, recrutés, encavés, livrés. Et nous, les rescapés comblés par la vie. Incroyablement jeunes à Los Alamos, là où commençait la mode des jeans.

Dans la cour, une voiture à l’abandon.
                                 A l’intérieur des jouets, des trésors, des images.

III
Falaises, canyons. Nous traversâmes, les rivières et mesas ; des villages indiens. Ocre des murs, albâtre, bleu du ciel. Pins, genévriers, canards ensauvagés.

Et la lumière capturée par l’étang. L’air est tel du champagne disait Stan, lui-même enivré de mystères. Tels étaient les confins, loin des terres humaines, des savoirs humains.

Cinq mille élus dans la main du secret. Mess, cafeteria, dortoir, réfectoire, laverie, cantine, magasins de l’armée. Tous égaux, par la grâce de Grove.

Leur venaient des enfants, ayant pour adresse : Boîte postale mille six cent soixante-trois, notée sur le registre des naissances. Ils venaient à la vie et rien d’autre.

Père caché, dans la demeure, sous un planche.
         Une nuit, dévoilé, sous le rideau, des pieds. La peur. Le cri.

IV
Robert Oppenheimer, dit Oppie l’arrogant, mince et nerveux sous son chapeau de feutre. John von Neumann, dit Johnny le salace. George Gamow, dit Geo, le sage.

Fermi, Stan Ulam, Feynman, Klaus Fuchs, qui échappa à la peine de mort, Léo Szilard, empli de pensées étranges, debout face au feu rouge à Bloomsbury.

Rabi, Otto Frish et Teller la colère, déjà hypnotisé par l’immense énergie d’une boule de feu, qui porterait son nom, dessinerait son visage.

Chacun était venu apportant ses dons, tels des rois, tels des mages, lemmes ou nombres réels. Tout fut mis en commun, selon la providence, l’aveugle loi divine des coûts-bénéfices.

Un grand salon aux fenêtres obstruées.
Porte barrée d’une planche.

                                                         Amado mio/ Love me forever
And let forever begin tonight
Amado mio/ When we are togethe
I’m in a dream world/ And sweet delight

V
Jeunesse des hommes et beauté des femmes (toujours selon Françoise, l’émerveillée). Détachés de la guerre, au bar dit La Fonda, nous primes notre première enchilada.

Pliant sous le poids de la peur, de la grâce, ils travaillaient dur et faisaient la fête, le soir aux réceptions données par Kitty. Célèbres martinis d’Oppenheimer.

Ils jouaient de la musique et montaient des spectacles, où lisaient des poèmes, où regardaient danser les indiens Pueblos, échangeant leurs masques.

Bella, du village de San Idelfonso, enseignait aux femmes l’art de la poterie. À cheval, au couchant, lumière de fin du monde. Car le monde, dit la Mishna, se termine chaque jour.

Faut-il craindre la concierge ou l’aimer ?
La bassine à frites. L’eau bleue de la bassine à linge.

Siempre que te pregunto
Qué, cuándo, cómo y dónde
Tú siempre me respondes
Quizás, quizás, quizás 

VI
Le matin du treize juillet 1945 le Truc fut assemblé pour le grand test à Trinity, auquel John Donne avait donné son nom, dans le désert du Nouveau-Mexique.

Et, l’après-midi de ce même jour, ils insérèrent le cœur de plutonium errant, l’inconstant solitaire, d’amour et de crainte, dans le corps de métal du Petit garçon,

Afin qu’il devienne le Gros homme soumis, qui allait ravir le cœur du Président. Il fallait faire vite malgré la peur, l’orage, car le seize Truman devait rencontrer

Staline et Churchill, médusés à Postdam. Et devenir, à l’instant, le plus fort, le plus grand parmi les Grands de tous les temps.

La cave, la nuit. Pommes de terre germées.
Arracher les germes. Ecouter les prières.

VII
À cinq heure trente du matin, le ciel s’embrasa. Eclair de lumière blanche dévorant l’éther. Le terrifiant tonnerre de l’onde de choc, la chaleur suffocante dans le petit matin,

Affolèrent les enterrés du camp de base. Dix millions de degrés Celcius. Le sol un vitrail couvert d’or, un rocher de sel surgi de la terre. Trente-deux millisecondes plus tard,

Boule de feu pourpre auréolée de lumière bleue. Incandescence s’emparant des nuages, jusqu’aux stratocumulus peints en rose. D’abord telle une framboise, puis, une coupe,

Puis tel un champignon dans le ciel orange, dirent les spectateurs de l’aube nucléaire, étranges avec leurs masques de plombiers. Jubilant à l’abri des métaphores et du béton.

         Rations de sucre et de farine.
         Une tarte au sucre ; le goût du sucre.

VIII
Oppie qui prétendait avoir appris le sanskrit en regardant couler l’Hudson mélancolique, pour fuir la théorie quantique, et tenir à l’écart sa chair tourmentée,

Déclara plus tard, pour faire connaître au monde, la brûlure de son humble superbe, qu’il s’était récité, à Trinity, face à l’éclair,

Le vers du Bhagavad-gïta où le dieu aux bras multiples dit au Prince Arjuna : « Je suis la mort qui emporte tout. La source des choses à venir ».

Mais nul ne saura jamais ce qu’il en fut, au polygone de tir d’Alamagordo, en vérité, dans la folie de Trinity.

Papa, encore, mais faux, déguisé en femme.
Perruque et collier, sur la photo étrange.

L is for the way you look at me
O is for the only one I see
V is very very extraordinary
E is even more than anyone that you adore

IX
(Dans les souvenirs de Françoise Ulam) Le matin du jour où la bombe explosa (nous l’appelions, entre nous, le gadget), nous étions à la maison, encore au lit.

Exclus de la fête, et pourtant en éveil, guettant par la fenêtre une lueur, un son, quelque chose en provenance de la chose, afin qu’à nous aussi quelque chose advienne. Mais rien.

Puis, le soir, arriva Johnny. Von Neumann fatigué, pâle et très secoué. Il était présent et il avait vu, ce à quoi ressemblent les osselets du destin. Cet homme sans pareil,

Qui avait, enfant, retenu par cœur L’Histoire universelle (quarante volumes achetés dans une vente), demeura parmi nous, tel un homme ordinaire après le travail. Assourdis de labeur.

Réapparition de l’inconnu, parmi les siens.
           Visage dissimulé sous un voile de tulle.
           N’aies pas peur, c’est papa, de retour.
           Ton père, rien que ton père.

X
Ensuite, on releva les capteurs rescapés. Vingt mille tonnes de TNT ; mille mètres arasés. Et le calcul des paramètres opérationnels, pour sécuriser le lâcher de la bombe,

Quelque part, ailleurs, sur des villes humaines – Kyoto, Hiroshima, Yokohama, Kokura ? – choisies par le Comité de Sélection des Cibles, sur les conseils de von Neumann.

Il était désireux de faire voir aux Instances, que la théorie des jeux n’était pas qu’un jeu, et ce qu’elle pourrait faire pour enrichir le monde. Avec Flood (le fameux dilemme du prisonnier),

Ils découvrirent qu’il fallait alterner cibles de prix et cibles de peu, pour désorienter la défense adverse et gagner la prochaine guerre nucléaire. Car pour cette guerre là, c’était maintenant fini.

Un bébé survient, quand surviennent aussi les annonces
mortelles.
Ils pleurent, ils s’agitent, tout est en désordre.

XI
Enola Gay, commandant Paul Tibbetts, décolla à l’aube du six août 1945, de la base de Tinian. A huit heure quinze il lâcha sa bombe à la verticale de l’hôpital Shima.

Tibbetts dès son retour reçut la croix (et plus tard, dit-on, devint fou). La science, l’industrie et l’armée, pour la plus grande réussite de l’histoire, déclara Stimson, Ministre de la Guerre.

Alors, trois jours plus tard, Bock’s Car, piloté par le Major Charles Sweeney, s’envola à son tour de Tinian, mais Kokura étant noyée dans le brouillard, Il se rabattit sur Nagasaki,

Sortie un instant des brumes pour qu’il puisse lâcher sa bombe sur le stade. La guerre s’achevait en apothéose, justifiant les dépenses engagées par Groves, devant le Congrès, la Nation.

Niania a regagné la chambre au piano silencieux.
Son chapeau noir, sa cape. Elle écoute la radio.

XII
À Los Alamos aussi, c’était la fin, du travail de l’amitié et de la paix. Fêtes et réceptions se succédaient, mais chacun savait qu’il devrait désormais affronter la vraie vie.

Routines et corvées des campus, dans la laideur de l’Amérique sans âme. Et la joie se teintait d’amertume. Mais la vie les avait comblés, par la grâce du calcul et de l’humble technique,

N’étant pas artistes ils avaient changé l’art. Sans religion, ils avaient changé la religion. N’étant pas philosophes, ils avaient changé la philosophie. Exilés, apatrides,

Sans territoire, ni racines, ni contrée, ils avaient changé la politique. Survivants par miracle loin de leurs peuples occis, ils avaient changé la mort. Leur fierté était légitime.

Smile though your heart is aching
Smile even though it’s breaking
When there are clouds in the sky, you’ll get by
If you smile through your fear and sorrow
Smile and maybe tomorrow
You’ll see the sun come shining through for you

La rescapée, accueillie dans la chambre commune.
C’est la nuit qu’elle parle. L’enfant dort.
Fait semblant de dormir.

XIII
Si dur ! Si dur à faire ! Et pourtant ils ne mirent que deux ans pour donner aux hommes la puissance de détruire cette terre, qu’un Créateur réputé tout puissant, Avait pourtant mis sept jours,

À bâtir, la sortant du chaos. Et maintenant le chaos reposait dans leurs paumes prêt à s’échapper, telle une coccinelle, entre les mains closes, d’un enfant un matin de printemps.

À Oak Bridge, avec du pur argent et l’eau pure du Tennessee, le grand Calutron séparait les isotopes de l’uranium. U235, se détachait, instable, laissant ses frères inertes à l’abandon.

Il était servi par vingt-deux mille opérateurs, qui, tel chacun de nous, agissaient sans connaître le but que d’autres assignaient à leur vie.

Soleil. Fenêtre ouverte.
Ils chantent avec les cloches.

XIV
En novembre mille neuf cent quarante-trois, la pile accéda à l’état critique. Et, quand vint le printemps, le riche uranium et, par dessus tout, le précieux plutonium,

Absent de la nature, à l’abri des désirs, se dévoilèrent, déposant l’enchantement de leurs traces dans le ravissement fragile des capteurs.

Et de même à Hanford, aux bords de la rivière Columbia, l’armée et le corps d’ingénieurs chimiste de l’usine Dupont de Nemours, depuis 1802 dans le Delaware,

(d’où sortirent conjointement les bas nylon), eurent la joie de voir la pile diverger, et purent, trois mois plus tard, expédier un kilo de pur désir gainé de plomb à la Colline.

Sur le boulevard, l’été, absolument vide.
Des hommes courent, on ignore où ils vont, ni s’ils souffrent.    Alors l’angoisse emplit la tête de chaleur, jusqu’au naufrage.

XV
Ainsi partout les hommes étaient au travail. Des villes s’édifiaient dans la tourmente. Chaque jour nouveau, le soleil se levait sur des hangars nouveaux-nés de la nuit,

D’où sortaient les chars glorieux de la guerre juste, dissipant le voile noir de la Grande dépression. Les déracinés, errant de gare en gare, sur le toit des wagons, les hobos,

Voyaient jaillir la lumière et l’espoir. Et même les enfants noirs revenaient à la vie, dans les combats ou les camps dispersés, avec leurs baraquements autour des usines.

Des masses se tenaient droites, comme un seul homme. Des millions d’êtres s’éveillaient, dans l’aube grise des sirènes, s’étirant sur les châlits, livrés aux desseins inconnus de l’Histoire.

Des mots nouveaux, faits de sexe et d’effroi.
Et 
L’esprit livré à la déchirure.

XVI
Ainsi s’accomplissaient les rêves solitaires des maîtres disparus. Des Empires, anciens. Que fusionnent la Puissance, le Créateur, l’Etat, en un seul corps sous l’empire de la Science.

Corps mystiquement unis de Jérusalem, d’Athènes et de Rome, au point d’indistinction de la liberté et de la servitude, et par là de l’amour et du crime, enfin confondus. Par nécessité, un dieu leur était né.

Comme étaient désormais confondus les destins de Groves et d’Oppenheimer, l’un gros, l’autre mince, penchés sur une carte, cherchant où incarner un code, un désir. Laboratoire central nommé Y.

Alors Oppenheimer, décidé à se perdre, se remémora l’adolescent saisi par l’amour, fuyant l’hacienda où une fille. Chevauchant égaré les mesas, au lieu dit Los Alamos, l’usine à bombe.

Panique, au grenier, pour ne pas voir sa chair
Revenue à la vie.

                             Bésame, bésame mucho
                             Como sifuera esta noche la ultima vez
                             Bésame, bésame mucho
                             Que tengo miedo perderte
                             Perderte después

Intermède 1 : Victoire, joie et le jeu de la guerre.

Ce fut l’amiral Lewis Strauss, partenaire de la banque d’investissement Kuhn Loeb & Co. (d’après Green, un homme très humain, quoique la remarque soit peut-être ironique), qui eut l’idée de jeter la bombe sur de vieux navires livrés au gré des vents, juste pour voir ce qui arrive si l’on joue à la bataille navale grandeur nature en pleine mer. Et ce fut la plus grande expérience scientifique de tous les temps. Pas la fin du monde, comme le prédisaient les esprits chagrins. La terre accepta la souffrance. Pétrie d’orgueil, jetée contre son gré dans l’ère nouvelle.

Quarante mille personnes virent de leurs yeux le four s’ouvrir, livrant aux flammes vaisseaux et passagers, rats cochons et chèvres. Ils étaient des millions écoutant la radio, étourdis de grondements retransmis en direct. Terrifiés de bonheur, faisant du futur table rase. Et dans la paix de leurs foyers, Bikini fit joyeusement son entrée, sortie nue et en armes des eaux du Pacifique, avant de céder son nom au corps excitant des filles, prenant des poses devant la mer, pour la photo. D’abord l’île solitaire, offerte aux mille soleils. Puis les filles aquatiques, nageant avec l’audace de ce corps dénudé par une bombe.

Une bombe aussi grande qu’une image en pieds de Rita Hayworth, dit le Time Magazine, pour faire comprendre cette chose inouïe vers laquelle convergeaient des millions de regards, des millions d’êtres humains, de bêtes et de choses, et d’êtres inexistants, plus puissants encore que ne le sont les princes, et les dieux figurés dans la pierre. Des êtres inscrits dans la texture du pouvoir, issus des textes que se donnent les Etats, lettres d’accréditation, codes numériques, formulaires du droit constitutionnel. Tous, humains ou pas, jusque-là, séparés, et maintenant unis, en un seul corps vivant célébrant la victoire.

     B. Histoire de la fusion

You came to me
As poetry comes in song
And you showed me
A new world of passion

XVII
Revenez, implorait Bradbury. Revenez vers nous, ici, sur la Colline. Une seule bombe et, d’un coup, mille avions seront renvoyés dans les limbes, tels les chars de guerre,

Dont dépendait pourtant la gloire de Rome. Une fois la technologie maîtrisée, la manufacture succédera au miracle. Des milliers d’ogives sortiront de nos doigts mécaniques.

Et le pouvoir d’arrêter le cours des temps, de faire être le temps, d’abolir toute vie et, par conséquent, de faire être la vie, appartiendra dès lors aux déchus de la terre, c’est-à-dire à nous,

Qui sommes tous les hommes. Car qui d’autres auraient pu arracher à la terre, les déchets des âges minéraux, pour leur gloire ? Enfin l’humanité pourra consentir à être. C’est-à-dire à être, ou à ne pas être.

                       Mon frère, Jean-Elie, de retour au lycée,
                 libre de se mouvoir, d’acheter un croissant,
           de s’asseoir sur un banc, dans un jardin public.

XVIII

Alors ils retournèrent à Los Alamos. Chacun, dans la solitude des campus, avait forgé des justifications, pour que l’attraction qui allait les soustraire à l’insignifiance des travaux et des jours, recouvre sa force.

Certains suivaient leur instinct, à jamais soumis à l’empire de la science. D’autres voulaient sauver le laboratoire, dont, de jour en jour, les crédits déclinaient. Ou protéger l’Europe contre les Soviets.

Ou rejoindre à nouveau la pureté, qui les avait saisis dans la joie du désert. Ou Etre encore une fois les premiers, les meilleurs. Ou se montrer loyaux envers Teller, dont le cœur brûlait déjà d’amour pour la Super.

Mais, disait Neumann, « il nous faut bien survivre ». Car il savait que ce dont les hommes sont capables, des hommes, n’importe lesquels, l’auraient fait, le feront. Et que ce seraient eux.

L’étoile jaune épinglée en haut du sapin de Noël.

 XIX

Le dix huit novembre mille neuf cent quarante six, John von Neumann écrivit donc à Teller : « J’espère que pour toi le pire est derrière, et devant rien d’autre, non vraiment rien,

Que la joyeuse vie irresponsable, sur la Colline de Los Alamos. Nous sommes tous fous et tu es le pire, Comprends l’arrogance de mon humilité ». C’était une façon élégante d’exprimer

Son intense désir d’être associé à la bombe H, ce rêve impossible, possédé de fusion, simulant les étoile, c’est-à-dire l’énergie qui enflamme l’univers, dont Edward avait eu l’intuition.

C’était le plus excitant des problèmes. Mais personne ne savait comment calculer les facteurs géométriques, les volumes, les intersections de solides. Et parfois Edward pleurait de frustration et de honte.

La première école. Ce sont des sœurs toujours apeurées. Agenouillées en vain quand, la haut, dans le ciel,
passe le cri d’un avion.

XX
Pour rejoindre la fusion, et faire une bombe H, il faut, logiquement, l’allumer au moyen d’une bombe à fission, c’est-à-dire une bombe A, de dimension normale, vingt kilotonnes (comme à Hiroshima).

Un milliard de degrés, pendant un peu plus d’une microseconde. Alors une puissance inconnue surgira du cœur de lithium où fusionneront les tritons et deutons, dans l’enceinte confinée,

D’un engin assez light pour être largué d’un B 52, ou parcourir le monde, dans un missile, survolant océans, continents et pôles à la vitesse de l’éclair, et donc imprévisible, inéluctable.

Mais personne ne savait vraiment comment faire, pour initialiser la fusion. Gamow avait son idée (dite « la queue du chat »), et Teller la sienne. Tous s’y mettaient, Fermi et Rabi ; Ulam et Johnny.

                   Tout est noir et blanc, les journaux, les images,
                   les japonais errants sur les écrans.

XXI
A l’accord de la fission, scellé dans la grande paix de la guerre réelle, succéda, pour leur peine, le désaccord de la fusion, nourri par l’orgueil d’une inimaginable guerre totale.

Edward et Robert saisis par la haine se dénonçaient l’un l’autre, tels deux frères mimétiques. Teller fomentait un complot avec Strauss pour accuser Oppy de comploter afin d’avorter

L’enfant du désir, la super Super. Et Stan fut poursuivi par la Nemesis quand, pris dans ses rêves, il réalisa que Teller jamais ne parviendrait, seul, à capturer le beau monstre des temps à venir.

« J’ai trouvé une façon de la faire marcher », dit un jour Stan, le regard perdu tel un aveugle, à sa femme, debout devant la fenêtre. Et, le lendemain, il alla voir Teller.

En attente, dans l’auto, devant l’hôpital. Et la nuit, quand il est auprès des malades. Puisque, jamais plus, ma mère ne le quitte, et que, jamais plus, nous ne la quittons.
Comme si, oui, comme si.

XXII
Car Stan et Johnny avaient découvert qu’on pouvait appliquer la théorie des probabilités à la mécanique des fluides continus (nommée : la méthode de Monte Carlo), et parvenir ainsi,

À mettre le hasard au service des calculs hydrodynamiques. Considérez dès lors, que les particules ne sont que des fictions. Alors des jeux d’équations intégrales à multiples variables, représenteront les séries infinies.

Durant ces jours brûlants, il leur arrivait de subvertir les signes, plaçant le mot nebech n’importe où dans leurs phrases. L’un disant cogito nebech ergo sum, et l’autre cogito ergo nebech sum, pour se souvenir qu’ils n’étaient que poussière.

Puis Ulam écrivit un rapport secret décrivant l’idée dont Teller s’empara. Et dès lors plus jamais ils ne se parlèrent, blessés que la vérité puisse être exclusive, si semblable à l’amour qui les liait.

Mais toujours le même rêve où le ciel se couvre d’astronefs  étranges, avançant en silence vers quelque chose d’inexorable.

XXIII
Le trente et un octobre mille neuf cent cinquante-deux, pour la première fois, à Eniwetok, dans les îles Marshall, une thermonucléaire explosa, donnant raison à Teller, l’optimiste, versus

Oppenheimer, le pessimiste, qui ne voulait pas aller de l’avant. Puis, deux ans plus tard, ce fut de nouveau Bikini, d’un seul coup dix fois la totalité des bombes jetées autrefois sur l’Allemagne.

L’atoll de corail se transmua en un nuage de poussières radioactives, dissipées par le vent. Et Dragon fortuné disparut, irradié sur les mers familières, sans savoir pourquoi cent kilotonnes avaient déchiré l’air,

Incendiant deux cents kilomètres de ciel, afin d’offrir au monde le sacrifice d’une poignée de pécheurs japonais. Alors les stratèges explorèrent l’ontologie de la menace, qui s’épuise de ne pas s’accomplir, et que l’exécution annule.

Mais toujours le même rêve, dans une vaste demeure, à la fois familière et inexplorée. Trop vaste, dépouillée de ceux qui vivaient là.

    Acaricia mi ensueño
    El suave murmullo
    De tu suspirar.
    Cómo ríe la vida
    Si tus ojos negros
    Me quieren mirar.

Intermède 2 : De quelques retombées économiques et techniques.

Energie : C’est de Joachimsthal, le Mont d’argent, que fut extrait du noir Pechblende, une chose inconnue nommée Uranium, en l’honneur d’Uranus qui venait de monter au ciel. Elle était chargée de polonium et de radium, composants spontanément radioactifs, au sein desquels Fermi, les bombardant de neutrons, fit s’accomplir la fission nucléaire. Le deux décembre mille neuf cent quarante-deux, le réacteur divergea pour la première fois. Un noyau lourd, en se fendant, déclencha une réaction de fissions en chaîne. C’était à Chicago. Ainsi, à l’instant même, la matière perdit-elle sa continuité, telle que l’avait prédite l’équation de Dirac, en mille neuf cent vingt-huit, pour nos péchés.

Depuis, ce fut toujours la même histoire de particules et d’anti-particules : un noyau, des protons positifs, des électrons négatifs, des neutrons, des positons, et l’uranium instable, au bord du déchirement, ne sachant s’il désir demeurer lui-même, ou diverger sans espoir de retour. Si on rapproche un proton d’un noyau, la répulsion va d’abord augmenter. Mais si on les oblige à se tenir, au plus près encore l’un de l’autre (et si la masse critique atteint un kilo), les forces se renversent, et les protons pénètrent au sein du noyau. La barrière du potentiel, une fois franchie, la répulsion se fait donc attraction, comme il en va de même pour tous les corps.

Car la masse n’est qu’un des avatars de l’énergie. Et de même, la chaleur, le mouvement, le travail. Elle peut se modifier sans craindre pour sa vie. L’énergie renaîtra sous une autre forme. Ainsi de chaque kilo d’une pierre précieuse, arrachée à la terre et menée avec soin jusqu’au confinement des Centrales, feront-ils un milliard de kilowatts heures. Pensez aux lumières de la ville, à l’éclair d’un train, dans la nuit de janvier le long du grand fleuve. Pensez, dormeurs en paix, à l’écoulement de milliards de noyaux, de protons, de neutrons, tels qu’aussi bien vos corps, hier encore vivants, accordés à toutes choses, puis transmués, d’un éclat, en chaleur et lumière.

Calcul : Ce fut pour traiter les calculs gigantesques, qu’exigeait la Super pour détruire le monde, que Johnny, avec l’argent de Lewis Srauss (qui le croyait capable de prédire le beau temps), construisit à l’Institute for Advanced Study de Princeton (dont Oppeinheimer deviendra directeur), le premier ordinateur programmable en binaire. C’était le MANIAC, une machine digitale, rompant avec les rêves analogiques, fantasmés à l’image du cerveau, dans le creuset des Conférences Macy, avec l’espoir de discipliner les flux d’information, comme William Harvey avait soumis le sang, et de gagner ainsi la guerre froide contre les humains.

On était déjà loin de l’ineffable ENIAC, colosse électronique, obèse gorgé de tubes, conçu pour dresser des tables balistiques, fiables quelle que soit la vitesse du vent, afin de guider le tir des batteries, et d’abattre des avions en toute saison, mais qu’un moucheron suffisait à troubler. Mais aussi, loin encore du TRANSAC, le premier ordinateur à transistors, réalisé chez Philco pour l’armée, en mille neuf cent cinquante-quatre, d’où fut dérivé l’IBM 7090, qui devint le plus gros ordinateur scientifique standard dans le monde, équipé d’un compilateur FORTRAN, mais déjà démodé quand Wilkes inventa la microprogrammation.

Sur le MANIAC, dont un double fut construit à Los Alamos, Klara, l’épouse de Johnny et Françoise, épouse Ulam, entreprirent de programmer pendant des nuits entières. De leurs mains ignorantes, mais par amour (car tel était alors conçu l’amour des femmes), elles alimentaient le truc de leurs hommes, sans savoir pourquoi, ni quelle serait la destination de cette broderie infinie de calculs (de même que j’ignore, soixante ans plus tard, comment opère le MacBook Pro sur l’écran duquel j’écris ces lignes en mémoire de leur foi, ni pourquoi). Car, comme disait Fermi, l’arbre le plus beau ne peut pourtant pas s’élever jusqu’au ciel.

     C. Histoire de la vie

 XXIV

Niels Borh, 1885-1962 (Copenhague – Copenhague). Leo Szilard, 1898-1964 (Budapest – La Jolla). Enrico Fermi, 1901-1954 (Rome – Chicago). John von Neumann, 1903-1957 (Budapest – Washington DC). Robert Hoppenheimer, 1904-1967 (New York – New York). Edward Teller, 1908-2003 (Budapest – Stanford). Stan Ulam, 1909-1984 (Lwow – Santa Fe). Et toi aussi, le dernier-né Klaus Fuchs, mort parmi les tiens à Berlin-Est, en 1988, à soixante-dix-sept ans, un an avant que le mur ne s’effondre, et avec lui ce qui était devenu la raison de vos vies, vos causes, vos murs, survivants d’autres causes, d’autres murs. Aucun de vous ne connaîtra les murs de notre temps, bâtis, à votre suite, ni nos causes, ni nos guerres, nous qui furent les enfants de vos causes, de vos guerres, et la destinée de votre œuvre.

  Au Cinéac des Ternes, la terre s’arrête. Bombes
     Et poulpes géantes. Grappes humaines en fuite.

XXV
Morts parmi les morts, rien ne demeure de vous, hors votre œuvre éternelle postée dans des silos, avec l’indifférence des anciens dieux, prêts à surgir dans le fracas des turbines.

Mais vous êtes là, parmi nous, les mortels enchaînés à la puissance aveugle, dont vous avez un jour scellé l’anneau. Génies, ayant tout lu, parlant toutes les langues. Génies véritables.

Mauvais génies et génies salvateurs, sertis dans la technique, qui n’est rien, c’est-à-dire le destin du monde. Echappés des ghettos de Lwow, Budapest, Varsovie, Wrocklaw.

Voués à la sagesse, l’étude, la beauté. A la Loi cherchée hors de la Yechiva, pour la dévoiler dans la matière obscure et dans les poèmes où (selon Vico), s’inscrit l’originel.

                           Une tour dont ne demeure que la membrure de fer
                          Sur le sol arasé de la ville punie.

 XXVI
John von Neumann, sur une chaise roulante, recevant la médaille de la Liberté des mains du Président Eisenhower. Ike de face et Johnny de profil,

Avec le même regard guilleret, pour la photo, qu’autrefois quand il lorgnait les filles. Sa dernière apparition publique, dit la légende. Puis, rien, de retour parmi nous, mortels.

Aucune image publique de votre déchéance, du visage blafard rongé par le cancer, sur la tiédeur du lit blanc d’hôpital.

De la peur, l’œil errant le ventre gonflé. Des mains ossifiées peut-être encore serrées sur quelque chose. Qu’importe. Vous, le sel de la terre.

             Immense troupeau de bœufs, poussés vers l’abattoir.
                     Les cris des maquignons.

XXVII
Et même toi Edward, qui fut homme et daïmon, que serrais-tu ? qu’elle était cette chose au creux de ta paume, à l’heure où tes mains lâchaient tout, Jusqu’au pouvoir d’incarner la puissance.

Pouvoir de faire mourir, de laisser vivre et de faire vivre. Ou rien que le pouvoir de vivre, encore un peu, parmi les survivants soustraits au désastre.

Qu’importe. N’importe laquelle, n’importe quelle chose, pourvue qu’elle soit douce, et qu’elle se souvienne, des villes brillantes habitées et brûlées. Vous les survivants, par excellence.

Comme est doux désormais votre cœur terrifié, rendu par la mort à la gloire infernale de l’enfance. Inconscient, les yeux clos d’innocence.

      Maman en larme, dans la voiture, journal ouvert.
           La guerre, plus grande encore, disent les lettres noires.
                 Plus puissantes les bombes, plus démoniaques encore.

When I was just a child in school
I asked my teacher what should I try
Should I paint pictures ?/ Should I sing songs ?
This was her wise reply/ Que sera sera/
Whatever will be will be
The future’s not ours to see/ Que sera sera.

Notices biographiques

Oppenheimer : Julius Oppenheimer, de Hanau à New York, vendait des tissus allemands pour le prêt-à-porter. Sept cent mille machines à coudre livrées chaque année, et un marché de soixante-dix million de dollars. Ainsi Robert naquit dans la fortune à Riverside Drive, loin des synagogues et des échoppes. Pourquoi la poésie, pourquoi pas la physique ? Goethe appréciait la chimie et Robert, Wonder boy d’Ella à la main de bois, brillait frêle et brimé, nu dans la glacière, ou regardait couler la rivière océane, cyclique entre les vers et le calcul différentiel. Horreur des origines et de la chair, dévoilée à cheval, dans le Nouveau-Mexique, sur la mesa du mont Pajarito. Alors survint l’errance du dément précoce, Reclus à Widener, tel – disait-il – un Goth pillant Rome, pour y avaler Poincaré et Bridgam, avant de fuir au Cavendish à Göttingen, à l’affût d’un atome d’hydrogène, qui aurait transgressé la mécanique classique, au-delà de la barrière du potentiel. Malgré la théorie quantique et ses ravages, il demeurait pourtant en-deça de lui-même, malgré les promesses, l’argent, les regards.

Szilard : La famille Szilard ne s’était pas toujours appelée Szilard, car elle venait de Galicie là où les juifs étaient privés de nom, avant que l’Empereur Joseph II ne leur accorde les surnoms allemands qu’ils transportèrent en Amérique, transformés par les douaniers d’Ellis Island en bon anglais tels Silver, Gold, ou Black, selon leur fantaisie. Mais on ignore pourquoi Szilard resta Szilard. Spitz c’est-à-dire Sommet, le nom dont hérita le grand père de Léo, se perdit dans les montagnes de Slovaquie et la veuve, parvenue à Budapest, transmua Spitz en Szilard, ce qui signifie robuste en Hongrois. Allez savoir pourquoi, les noms suivent et se fuient, donnés et repris. Mais le nom nouveau s’empara des fils, les transformant en ingénieurs, et le père de Léo fabriqua des tramways. Puis, à son tour il engendra des ingénieurs, c’est-à-dire des enfants obstinés, demeurant lovés dans les histoires que racontait Tekla, pour leur faire comprendre ce qu’est la vérité. Comme celle du grand père écolier, celui qui, par double loyauté, dénonça ses amis aux autorités, comme il l’avait promis, avant de se livrer, lui aussi compris dans le corps des bannis. Illustrant ainsi le paradoxe des ensembles, aussi troublant que les premiers émois.

Teller : Max, père de Teller, était né à Ersekujvar, la ville marchande où les juifs échangeaient l’autorisation d’une présence diurne contre nocturne absence. Des banquiers ordinaires, des gens biens, des docteurs, des juristes absolus. Mais Edward enfant se demandait pourquoi il leur fallait deux lois, l’autre et la Thora. Pourtant, malgré leurs pieds entravés par le droit, et leurs mains attachées par la loi, ils survécurent aux camps, Andras excepté, décédé en mille neuf cent quarante cinq. L’année où, pour la première fois, son beau-frère Edward réalisa ce qu’il ferait, une fois l’Amérique en poche, et décida qu’Emma et Hona viendraient mourir à ses côtés dans un désert, si Staline les lâchaient, et si l’Amérique, parvenait à survivre jusqu’aux lointains futurs. Au gymnase Minta, on se moquait de lui, qui aimait trop sa mère, que sa mère aimait trop, quand il prétendait enseigner les maths aux professeurs de mathématique, à cause de son génie, naturellement. Mais plus tard, ayant compris le mot justice, il su répondre à la menace par la menace, et forger la loi sans exceptions de son destin. Puis il partit étudier en Allemagne.

Ulam : Stan venait de Lwow, Lemberg ou Lviv, selon les aléas du jeu de Go et de la guerre, qui se jouait entre les princes, peu importe à l’enfant. Le papa fait du droit, et maman est sortie de Stryj, où grand-père vend du fer, extrait de Galicie et des Carpathes. Assis face à la fenêtre, avec son père, il regarde passer le Prince couronné, puis il observe les dessins du tapis, sachant quelque chose que son père ignore. Puis, à Vienne, célébrant l’armée autrichienne. Revenus vivre à Lwow après la guerre, où la cavalerie de Budenny pénétra (un cheval se nommait Babel), il fut sauvé par Pilsudski et entra au Gymnase. Ici, pour la première fois, il tricha, car ses yeux différaient l’un de l’autre, discernant les chiffres, confondant les lettres. Captivé par les anneaux de Saturne, il se demandait pourquoi la comète de Encke n’avait pas un cours régulier, et il tomba sur Poincaré en polonais, là où tous les siens allaient périr, le père brûlant ses livres pour se chauffer, avant d’entrer lui-même dans la chaufferie.

Von Neumann : Max, père de Johnny, banquier et poète, sorti de Galicie, fit un riche mariage et fut anobli par François Joseph. Il mettait un arbre dans son salon le jour de Noël, mais respectait néanmoins Yom Kippour, parlant, dit-on, en grec ancien avec son fils, qui apprenait par cœur les sommes et les chants, orgueil autrefois d’un hobereau ruiné. Puis il fut livré aux mains de Laszlo Ratz, le maître de la théorie des nombres, qui chaque semaine frappait à la porte (Mazouzah discret collé au chambranle) de la demeure de trois étages rue Zsilinszky, dans laquelle Johnny se battait avec l’axiomatique des ensembles, avant d’échapper à Béla Kun, le juif, puis aux ennemis de Béla Kun et des juifs, riches ou pauvres, révoltés ou soumis. Il pris la fuite, vers l’Allemagne et ailleurs, enfin à Princeton l’Institute for Advanced Study venait d’être créé par les Bamberger, pour donner une âme aux grands magasins.

Appendice 

Le sel de la terre a été composé en juin 2013, en écho des œuvres de la plasticienne Angelika Markul. Le texte principal repose sur une abondante documentation, accumulée, par diversion, au fil des ans. Parmi les nombreux ouvrages consacrés à l’histoire du Manhattan Project, je ne citerai que quelques titres dont j’ai particulièrement tiré parti : Ray Monk, Inside the Center : the Life of Robert J. Oppenheimer, Jonathan Cape LTD, New York, 2012. Giorgo Israel, Ana M. Gasca, The World as a Mathematical Game : John von Neumann and the Twentieth Century Science, Birkhauser Verlag, Berlin, 2009. Stan Ulam, Adventures of a Mathematician, Charles Scribner’s sons, New York, 1976. Pap Ndiaye, Du nylon et des bombes. Dupont de Nemours, le marché et l’Etat américain, 1900-1970, Belin, Paris, 2001. Jeff Hughes, The Manhattan Project. Big Science and the Atom Bomb, Icon Books, Cambridge, 2002. Claude Delmas, La bombe atomique, Complexe, Paris, 1985. Michel Rival, Robert Oppenheimer, Paris, Seuil, 2002. Istvan Hargittai, Martians of Science, Five Physicists who Changed the Twentieth Century, Oxford UP, Oxford, 2006. John Hersey, Hiroshima. Lundi 6 août 1945, 8h 15, Paris, Texto, 2011 (1946). Michel Rouzé, Oppenheimer et la bombe atomique, Paris, Seghers, 1962. Auxquels il faut ajouter les délicieux souvenirs de Françoise Ulam : Françoise Ulam, De Paris à Los Alamos : une odyssée franco-américaine, L’Harmattan, Paris, 1998.

Entre les vingt sept chants du texte principal sont insérés deux genres de fragments.
Les premiers (petites italiques) renvoient à des souvenirs personnels datant de mon enfance et, surtout, de ma prime enfance, c’est-à-dire, environ, des années 1943 à 1947. Souvent confus et difficiles à interpréter, également pour moi, ils n’existent plus dans ma mémoire que sous forme de flashs ou d’images, néanmoins récurrents.

Les seconds (petit corps en gras) sont les textes – en espagnol ou en anglais -, de chansons très populaires durant les années entourant la seconde guerre mondiale, dont on peut penser qu’elles ont animé les party et les bals, à Los Alamos, à l’époque où fut construite la bombe.